Le journaliste de la RTS Alain Maillard était invité à animer un débat autour de Jared Diamond, en présence d’Andrea Novicov, d’un ethnologue et d’un biologiste…

Des zèbres et des amandes ou comment faire aimer le monde ? Face à l’oeuvre particulière de Jared Diamond : autant par son ambitieuse ampleur scientifique et historique que son incroyable portée médiatique et populaire atteinte pour un essai scientifique, et puisque le projet d’Andrea Novicov de porter cette parole scientifique sur scène était non moins originale, il nous semblait essentiel de pouvoir débattre de cette rencontre entre les arts et les sciences et d’amener un éclairage sur l’oeuvre à travers les yeux de deux universitaires de domaines et de points de vue différents.

Le livre et la pièce démarrent tous deux autour de cette question : comment, pourquoi, le conquistador espagnol Pizarro en 1532 a-t-il pu conquérir et détruire le grand empereur inca Atahualpa et coloniser ce « nouveau monde » ? Jared Diamond développe alors une thèse démontrant l’importance capitale des facteurs biologiques et géographiques dans la détermination de l’évolution des sociétés.

Andrea Jacot-Descombes, ethnologue à l’Institut d’Ethnologie de Neuchâtel, a pu défendre une vision davantage « anthropologique » de l’histoire. A ses yeux, en effet, la théorie environnementale de Diamond pour intéressante qu’elle soit, et si elle répond parfaitement au besoin d’explications, de réponses de l’homme et du scientifique, ne saurait suffire à elle seule pour expliquer la multitude des évolutions diverses des sociétés. Aucune théorie unique ne pourrait jamais rendre compte de la complexité des phénomènes en cause dans le développement des civilisations. Il rappelle que les évolutions techniques, technologiques, ont souvent répondu à la notion de besoin, et donc qu’en fonction des différents besoins ressentis et des solutions optées pour y répondre, les hommes ont ainsi pu développer différents types de sociétés. Il y a, en particulier, un élément fondamental à prendre en compte qui est la possibilité de choix. Dans l’exemple cité de la poudre à canon, le mélange explosif découvert par un médecin chinois en quête d’un élixir d’immortalité, n’avait jamais été envisagé comme arme potentielle jusqu’à ce que la découverte parvienne en Europe. Certaines sociétés ont donc fait le choix de développer un armement de guerre.

Thibaud Gruber, primatologue, Darwinien convaincu, a quant à lui reprécisé la complexité également de la théorie évolutionniste et écarté certaines visions simplifiées. Par exemple, tous les grands singes ne sont pas voués à connaître les mêmes mutations génétiques et le même développement que celui de l’homo sapiens, l’homme a suivi une voie unique. La biologie permet aussi de démontrer aujourd’hui que tous les hommes de la planète ont un capital génétique extrêmement similaire, qu’ils partagent car ils sont tous les descendants d’un même peuple qui s’est développé en Afrique. De fait, tous les hommes ont donc les mêmes capacités d’apprentissage et cela écarte les théories racistes d’infériorité intellectuelle évoquées au XIXe siècle pour justifier la domination de certaines sociétés sur d’autres. De son point de vue, Jared Diamond n’essaie pas tant de négliger les dimensions sociales et culturelles intervenant dans le développement des sociétés, que de mettre en avant l’importance de la biologie et du rapport de l’homme à son environnement. Il est en cela très pessimiste dans son livre « Effondrement » sur les capacités de l’homme à réagir. Il prend en exemple l’île de Pâques et la destruction massive de ses arbres qui ont conduit à la destruction de cette société. Evidemment, remis à l’échelon de la Terre, il sera plus difficile de prendre un bateau pour aller sur l’île d’à côté…

Finalement, ces deux scientifiques, tout en gardant leur propre champ de recherche, ont pu témoigner de l’importance de garder une grande ouverture d’esprit, qu’elle soit en termes de capacités d’analyse, de critique ou de champs d’études, pour pouvoir espérer aboutir un jour à la meilleure compréhension possible du monde. La connaissance de l’homme bénéficie également de l’étude du primate !

Et du rapport entre théâtre et science ? Le questionnement scientifique repose à la base sur une interrogation essentielle commune à tout être humain : le besoin de compréhension de ce qui nous entoure, d’où vient-on, comment est-on parvenu jusqu’ici et où allons-nous ? Il concerne donc fondamentalement tout le monde et pourrait être en cela matière théâtrale, mais comment partager ces questions avec le public, à partir d’une parole unique, théorique et souvent complexe ? Nous vous laissons découvrir dans cet extrait vidéo, le point de vue du metteur en scène, Andrea Novicov, sur les difficultés rencontrées lors de l’adaptation de l’ouvrage pour la scène. La scène qui est, pour lui également, un terrain de recherches, un dialogue avec le public jamais achevé, toujours remis en cause…